L’Union européenne est prête à renforcer ses défenses contre les investissements étrangers potentiellement hostiles, suite à l’adoption de réformes radicales par la commission du commerce international du Parlement européen mardi.
Lors d’un vote décisif – 31 voix pour, sept contre et trois abstentions – les législateurs ont approuvé un ensemble révisé de règles visant à renforcer le contrôle des investissements directs étrangers (IDE) dans l’ensemble de l’Union. Ces nouvelles mesures soumettront un plus large éventail de secteurs, notamment les services de médias, les matières premières essentielles et les infrastructures de transport, à un contrôle national obligatoire, afin d’identifier et de neutraliser les risques pour la sécurité et l’ordre public.
Ces réformes marquent un changement significatif dans l’approche de Bruxelles à l’égard des investissements étrangers, reflétant un malaise croissant face aux ambitions stratégiques de certains investisseurs non européens, en particulier dans des secteurs jugés sensibles pour la sécurité et la souveraineté de l’Europe.
« L’objectif est de créer un système prévisible et cohérent qui protège les intérêts européens sans fermer la porte aux capitaux étrangers bénéfiques », a déclaré Raphaël Glucksmann, rapporteur du Parlement sur le dossier. « Cette réforme établira un système plus prévisible qui garantira que les investissements étrangers ne compromettent pas notre sécurité. Les investisseurs bénéficieront d’une plus grande clarté des procédures, tandis qu’un champ d’application harmonisé et un rôle renforcé pour la Commission contribueront à garantir la cohérence au sein de l’Union. »
Au cœur du cadre révisé se trouve une extension spectaculaire des secteurs soumis à un contrôle obligatoire. Auparavant, les États membres disposaient d’un pouvoir discrétionnaire pour contrôler les investissements, mais, en vertu des nouvelles règles, ils seront tenus d’examiner les transactions dans les secteurs désormais considérés comme essentiels à l’ordre public et à la sécurité.
Les infrastructures de transport, les matières premières essentielles et les médias – secteurs qui n’étaient pas auparavant couverts par le filet obligatoire – sont désormais concernés. Ces réformes interviennent dans un contexte de craintes croissantes quant à la vulnérabilité de l’Europe face aux acquisitions étrangères incontrôlées, notamment dans un contexte de rivalité géopolitique et de fragmentation économique croissantes.
Grâce à un renforcement significatif de ses pouvoirs de surveillance, la Commission européenne pourra intervenir proactivement en cas de désaccord entre les autorités nationales ou lorsque les risques potentiels transcendent les frontières nationales. Elle sera également habilitée à ouvrir des enquêtes de manière indépendante, ajoutant ainsi un niveau de contrôle supranational reflétant les ambitions plus larges de Bruxelles en matière d’autonomie stratégique.
Les mécanismes nationaux de sélection, jusqu’à présent très variables selon les États membres, seront harmonisés dans le cadre du nouveau cadre. Les réformes visent à uniformiser les procédures de sélection, notamment en fixant des délais plus clairs et en établissant des critères d’évaluation transparents.
Si une autorité nationale de contrôle estime qu’un projet d’investissement pourrait porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public, elle sera tenue soit d’autoriser le projet sous conditions atténuantes, soit de le bloquer purement et simplement. Il s’agit d’une position plus ferme par rapport au système précédent, essentiellement consultatif.
Cette décision est perçue par beaucoup comme une réponse aux récentes tentatives très médiatisées d’investisseurs étrangers de prendre le contrôle d’entreprises européennes spécialisées dans les semi-conducteurs, la cybersécurité et d’autres domaines d’importance stratégique. Les décideurs politiques se sont montrés particulièrement méfiants à l’égard des acquisitions provenant d’États autoritaires, où les entreprises privées opèrent souvent sous l’étroite surveillance du gouvernement.
Le cadre européen de filtrage des investissements étrangers est entré en vigueur en octobre 2020, issu des craintes que le modèle de marché ouvert de l’Europe ne l’expose dangereusement. Depuis lors, les États membres ont notifié des centaines de transactions, Bruxelles intervenant pour coordonner les réponses lorsque cela s’avérait nécessaire.
Cependant, la Commission a fait valoir que des lacunes subsistaient. En janvier 2024, elle a présenté une nouvelle proposition visant à renforcer le régime. L’adoption mardi par la commission du commerce constitue une étape importante sur la voie de la transposition de cette proposition en droit, même si l’approbation finale du Parlement et des États membres reste nécessaire.
Les partisans de la réforme affirment qu’elle trouve le juste équilibre entre le maintien de l’ouverture de l’Europe aux investissements et la préservation de ses intérêts vitaux. Les critiques, quant à eux, mettent en garde contre le risque de protectionnisme et d’excès réglementaire, craignant que ces mesures ne freinent les flux d’investissement légitimes à un moment où la croissance économique reste fragile.
Mais alors que les préoccupations sécuritaires dominent de plus en plus l’agenda politique européen, la dynamique en faveur d’une position plus dure semble inéluctable.
« Il ne faut pas être naïf », a averti Glucksmann. « Dans le monde d’aujourd’hui, l’investissement n’est pas seulement une transaction financière. Il peut s’agir d’une décision stratégique, et l’Europe doit s’y préparer. »
Alors que l’UE s’efforce de renforcer son emprise sur les investissements étrangers, le message de Bruxelles est clair : l’ouverture de l’Europe demeure, mais pas au détriment de sa sécurité.
Image principale : Photographe : Alexis HAULOT © Union européenne 2025 – Source : EP