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La population se serre les coudes face à l’inertie des autorités

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« Lorsque la capitale se relèvera, notre tristesse se transformera en colère », affirme un des volontaires.

Balai en main et masque sur le visage, Dana nettoie des éclats de verre dans le centre-ville de Beyrouth, non loin de la place des Martyrs. Cette diététicienne de 26 ans est venue du quartier de Tarik Jdidé avec sa tante pour prendre part aux opérations de déblaiement des décombres, aux côtés de centaines de Libanais mobilisés, dans un vaste élan de solidarité, après les explosions survenues mardi au port de Beyrouth. « La destruction est trop grande et il faut aider ceux qui en ont besoin car l’État est absent. Je ne comprends pas pourquoi les gens ne se sont toujours pas rendus aux domiciles des politiciens pour exprimer leur colère », lance Dana. Sa tante, la cinquantaine, est tout aussi remontée contre le pouvoir en place. « Ce pays n’a pas connu une minute de répit depuis des années. J’espère que les politiciens ne vont pas s’attribuer les mérites de l’aide que la société civile est en train d’offrir », lance-t-elle, excédée.

Alors que les autorités n’ont mis en place aucun dispositif pour abriter les trois cent mille personnes ayant perdu leur domicile cette semaine, de nombreux volontaires se sont, eux, mobilisés pour nettoyer la ville ou pour accueillir des sans-abri chez eux. Sur les réseaux sociaux, les Libanais réclament des comptes aux responsables et le mot-dièse « Pendez-les » circule sur Twitter.

Daniel, producteur de musique, est venu à Beyrouth pour prendre part aux opérations de nettoyage des décombres. « J’étais à Gemmayzé lorsque l’explosion a eu lieu. J’ai eu la chance de m’en sortir sans une égratignure, mais ma voiture a été endommagée. La moindre des choses est que je vienne en aide aux personnes sinistrées », confie-t-il à L’Orient-Le Jour.

Un peu plus loin, des dizaines de jeunes viennent de débarquer de Tyr et se rendent à pied vers le quartier de Gemmayzé, pour participer au déblaiement de l’hôpital Notre-Dame du Rosaire, gravement touché par les déflagrations. Nour et Fatima, étudiantes en théâtre, font partie du groupe. « Je regardais la télévision mardi soir, et je me sentais impuissante face à tant de chaos. Je me suis dit qu’il fallait que je me rende sur place, ne serait-ce que pour dégager quelques pierres », confie à L’OLJ Fatima, 22 ans. « Cette explosion a certes eu lieu à Beyrouth, mais elle nous a traumatisés à tous. L’État ne fait rien mais nous devons nous entraider. C’est cela le patriotisme », renchérit Nour, 19 ans.

« Grands, petits, associations, scouts, guides, jeunes filles en gilets jaunes et casques assortis, tous armés de balais, de pelles, travaillent d’arrache-pied au déblaiement des rues. Inutile de préciser que je n’ai vu aucune main-d’œuvre municipale », témoigne un passant, pointant du doigt l’absence flagrante des autorités sur le terrain.

« Ce qui s’est passé est un génocide »
Place des Martyrs, des dizaines de personnes s’affairent dans des tentes dressées depuis mercredi à l’emplacement où les manifestants se retrouvaient quelques mois plus tôt. Ces volontaires, dont une grande partie a pris part au mouvement de contestation du 17 octobre dernier, ont décidé de camper à nouveau dans la capitale et d’organiser le déblaiement et la distribution d’aides humanitaires aux riverains sinistrés.

Clara est attablée sous une tente, entourée de pelles, de balais et de casques. Avec un groupe d’amis, elle a réussi à obtenir ce matériel de la part de généreux donateurs et organise un système de prêt pour les volontaires désireux de se rendre sur place pour participer au nettoyage des quartiers détruits. « Nous avons prêté le matériel à 650 personnes hier. Aujourd’hui, nous avons déjà 300 volontaires qui ont emprunté du matériel, et la journée n’est pas encore finie », confie-t-elle.

Non loin de la mosquée al-Amine, Yousra Saab et ses amies discutent au milieu de sacs de nourriture et de bouteilles d’eau. « Nous sommes un groupe de femmes désireuses de venir en aide à ceux qui ont tout perdu, confie la jeune femme. Hier, nous avons effectué une tournée dans le secteur de la Quarantaine. Nous y avons distribué des aides alimentaires. Mais ce qui est frappant, ce sont les gens qui nous disaient à chaque fois qu’ils arrivaient à se débrouiller et nous demandaient de donner à ceux qui étaient plus démunis », raconte Yousra. « Aujourd’hui, il y a des personnes qui sont venues nous voir ici pour récupérer quelque chose à manger, mais je pense que l’État doit commencer à prendre les choses en main. Il n’y a que les initiatives personnelles qui fonctionnent pour l’heure », déplore-t-elle.

Installé sous une tente avec une dizaine d’autres volontaires, Anthony Doueihy passe en revue le programme de la journée. « Nous avons réussi à obtenir la liste des familles sans-abri à Mar Mikhaël et Gemmayzé. Nous comptons leur distribuer de la nourriture, du lait, de l’eau et des produits hygiéniques », explique-t-il à L’OLJ.

Fort de son expérience lors du mouvement de protestation, Anthony a réussi à mobiliser 1 500 volontaires répartis sur la capitale pour nettoyer et réparer les dégâts. « Mettez vos leaders et confessions de côté et donnons-nous la main. Cet État a commis un crime de guerre. Ce qui s’est passé est un véritable génocide », lance-t-il. « Nous sommes en colère et tristes, mais maintenant c’est la tristesse qui l’emporte. Lorsque Beyrouth se relèvera, notre tristesse se transformera en colère », confie pour sa part Charif Sleimane, un des volontaires du groupe.

Dans la tente d’à côté, Sarah, la vingtaine, supervise l’emballage de produits alimentaires. Elle fait également partie d’un groupe de personnes ayant activement pris part au mouvement de contestation antipouvoir. « Nous avons lancé un appel aux dons sur les réseaux sociaux et les gens ont été généreux. Nous avons pu obtenir des médicaments, de l’eau, des couches et du lait pour enfants », explique la jeune femme à L’OLJ. L’équipe, qui a mis sur pied un dispensaire ambulant, se rend dans les quartiers détruits et offre son assistance aux familles qui sont encore sur place. « Beaucoup ont perdu des proches. Ils n’arrivent donc pas à s’exprimer. De toute manière, nous n’avons pas le luxe de leur poser des questions, ce n’est pas le moment de se laisser aller à l’émotion », conclut la jeune femme.

OLJ

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