En attendant la formation d’un nouveau cabinet, l’équipe actuelle sera chargée d’expédier les affaires courantes.
Le Premier ministre libanais, Hassane Diab, a annoncé lundi soir la démission de son gouvernement, après le départ de plusieurs membres de son équipe sous la pression de la rue qui rend la classe politique responsable de l’explosion dévastatrice, a priori accidentelle, au port de Beyrouth. Le chef du gouvernement, qui se présente comme indépendant, a rendu la classe politique traditionnelle responsable de ses échecs, fustigeant la « corruption endémique » ayant conduit à « ce séisme qui frappé le pays ». Lors d’une allocution solennelle, M. Diab, à la tête du gouvernement depuis près de sept mois, s’est dit aux côtés de ceux qui réclament que les responsables de ce « crime » soient traduits en justice.
« Ils sont la vraie catastrophe du pays »
« Nous
sommes toujours sous le choc de la tragédie qui a frappé le Liban. Ce
désastre qui a frappé les Libanais au cœur, est le produit d’une
corruption endémique au sein de l’Etat, a lancé M. Diab. Ce système est
profondément enraciné, et je me suis rendu compte qu’il est plus
grand que l’Etat qui, les mains liés, n’a pas réussi à le combattre ou
à s’en débarrasser ». « Une des nombreuses manifestations de la
corruption a explosé dans le port de Beyrouth, et la calamité s’est
abattue sur le Liban ; mais les cas de corruption sont répandus dans le
paysage politique et administratif du pays », a ajouté M. Diab,
dénonçant une classe politique qui « menace la vie des gens, falsifie
les faits, survit grâce aux séditions et exploite le sang des Libanais ».
« L’ampleur de la tragédie est indescriptible, mais certains ne s’en préoccupent pas. Ils vivent dans un autre temps. Ils veulent juste marquer des points politiques, prononcer des discours populistes et détruire ce qui reste de l’Etat. Ils auraient dû avoir honte d’eux car cette catastrophe est le produit de leur corruption, et Dieu sait combien de catastrophes se cachent derrière leur corruption », a poursuivi le Premier ministre démissionnaire, estimant qu’ils « n’ont rien compris à la révolution du 17 octobre ».
« Il faut les changer car ils sont la véritable catastrophe du pays », a-t-il lancé, ajoutant que les opposants au gouvernement « ont tenté de faire porter au cabinet la responsabilité de l’effondrement économique et de la dette ». « Nous avons combattu avec honneur, mais nous étions seuls face à eux. Ils ont utilisé toutes les armes en leur possession, comme la falsification de la vérité », a-t-il ajouté.
Et de poursuivre : « Mais ce gouvernement n’a épargné aucun effort pour dessiner une feuille de route qui pourrait sauver le pays. Tous ses ministres ont fait de leur mieux, sans intérêt personnel. Tout ce qui nous importait, c’était de sauver le pays. Nous avons été la cible de nombreuses insultes, mais nous avons refusé d’entrer dans des polémiques car nous voulions travailler ». « Mais cette bataille est inégale. Nous étions seuls et ils étaient tous contre nous. Ils ont utilisé toutes leurs armes, déformé les faits, falsifié les preuves, lancé des rumeurs, menti aux gens (…) Ils savaient que nous représentons une menace pour eux, et que le succès de ce gouvernement signifie un réel changement au niveau de la classe dirigeante de longue date », a-t-il déploré. « Nous voilà aujourd’hui, avec ce séisme qui a frappé le pays. Notre principale préoccupation est de traiter ses conséquences et mener rapidement l’enquête pour déterminer les responsabilités de chacun », a encore déclaré M. Diab, se disant aux côtés de ceux qui réclament que les responsables de ce « crime » soient traduits en justice. Et de conclure : « Nous faisons un pas en arrière pour mener la bataille du changement avec les gens. C’est pour cela que j’annonce aujourd’hui la démission de ce gouvernement. Que Dieu protège le Liban ! »
Pas encore de date pour les consultations parlementaires
Après son allocution, le Premier ministre démissionnaire s’est rendu au palais de Baabda pour présenter officiellement la démission de son cabinet au président Michel Aoun, qui l’a accepté. En attendant la formation d’un nouveau gouvernement, celui de Hassane Diab sera chargé d’expédier les affaires courantes. Selon notre correspondante à Baabda Hoda Chedid, la date des consultations parlementaires contraignantes ne devrait pas être fixée aujourd’hui par la présidence, le temps qu’une entente soit trouvée sur l’identité du prochain Premier ministre.
Le 4 août, deux explosions d’une violence inouïe ont ravagé le port de Beyrouth et de nombreux quartiers de la capitale, faisant près de 160 morts et 6.000 blessés, selon un bilan encore provisoire. Selon la version officielle, l’explosion a été déclenchée par un incendie dans un stock de 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées au port depuis 2014, sans mesures de sécurité, de l’aveu même du Premier ministre. Michel Aoun a pour sa part évoqué l’hypothèse d’une bombe ou d’un missile. Il a rejeté les appels à une enquête internationale, estimant qu’elle « diluerait la vérité ». Le dossier a été transféré aujourd’hui à la Cour de Justice lors d’une réunion du cabinet Diab.
Hassane Diab avait déjà tenu dimanche une réunion avec plusieurs ministres pour discuter de la possibilité d’une démission du gouvernement. Une façon pour lui d’éviter une chute de son équipe lors des séances parlementaires ouvertes qu’avait convoquées le président de la Chambre, Nabih Berry, à partir de jeudi afin d’interroger le gouvernement sur le « crime » subi par la capitale.
La démission du cabinet était ainsi attendue alors que quatre de ses ministres avaient déjà rendu leur tablier avant même l’allocution de M. Diab, mettant à mal encore plus un gouvernement honni par la rue, en colère depuis samedi après la dévastation causée dans de nombreux quartiers de la capitale, dans un pays déjà frappé par une crise économique inédite dans son histoire moderne. « Oui, le gouvernement a démissionné », avait ainsi annoncé, une heure avant le discours de Diab, le ministre de la Santé, Hamad Hassan, en quittant le Grand Sérail où le cabinet était réuni. Le gouvernement a tenu une réunion lundi après-midi, au cours de laquelle « la plupart des ministres étaient en faveur d’une démission » du cabinet, avait confirmé à l’AFP Vartiné Ohanian, ministre de la Jeunesse et des Sports.
La démission du gouvernement ne devrait cependant pas satisfaire le mouvement de protestation populaire qui réclame le départ de toute la classe politique. Alors que M. Diab commençait son discours, des heurts se déroulaient dans le centre-ville de Beyrouth aux abords du Parlement, des manifestants lançant des pierres sur les forces de sécurité qui ont répliqué avec des tirs de gaz lacrymogènes.
OLJ