Marche hebdomadaire hier dans les rues d’Alger ( photo : Sami k. )
Alger, 17 janvier 2020. 48e acte du hirak algérois. 11h40. Un climat tendu est palpable sur la rue Didouche Mourad. Des éléments de la police sont déployés en force tout au long de l’axe central ainsi qu’à la rue Khelifa Boukhalfa, sur le boulevard Victor Hugo et à travers tout le périmètre attenant à la mosquée Errahma.
Les premières clameurs de la matinée auxquelles nous ont habitué les plus passionnés des hirakistes n’ont tout simplement pas pu se faire entendre, et pour cause : ce dispositif policier, auquel s’ajoutent plusieurs agents en civil, traquait la moindre velléité contestataire, empêchant les premiers carrés de se former.
Si bien que, pour la première fois depuis quasiment le début du mouvement, on n’a pas vu de cortège sillonner la rue Didouche le matin. Il faut rappeler que cette nouvelle stratégie des forces de l’ordre avait déjà sévi vendredi dernier en étouffant dans l’œuf la marche des premiers manifestants.
Des manifestants et des journalistes interpellés
Cette offensive des forces de l’ordre a obligé les frondeurs à se faire discrets, les confinant dans les interstices de la ville et ses venelles. Cela n’a pas suffi pour éviter à de nombreux hirakistes de se faire embarquer. Nous avons même assisté en direct, vers les coups de 12h20, à l’interpellation de plusieurs citoyens sur la rue Réda Houhou, derrière la mosquée Errahma. Ils ont été emmenés de force à bord d’un fourgon cellulaire.
Des véhicules de ce type étaient d’ailleurs postés ça et là en prévision des arrestations qui seraient opérées, signe que la police a été clairement instruite pour réprimer toute manifestation en dehors d’un «créneau toléré», allant globalement de 13h à 17h. «Ils ont pourchassé des manifestants dans les petites ruelles et en ont arrêté quelques-uns», témoigne un groupe de citoyens croisés près du marché de Meissonnier.
A noter également l’interpellation de notre confrère Bouzid Ichalalène du site Inter-lignes.com avant d’être relâché. «J’ai été conduit au commissariat pour avoir pris en photo la scène d’une arrestation. La police voulait me confisquer mon appareil photo, j’ai exigé de voir le procureur», confie Bouzid. Zoheïr Aberkane, notre illustre confrère du quotidien Reporters qui n’a loupé aucune édition du hirak, a été interpellé lui aussi.
Il a posté ce message sur sa page Facebook : «Embarqué en fin de matinée, auditionné au niveau du commissariat du 6e. PV. Téléphone confisqué. Relâché en attendant de passer devant le procureur selon ce que j’ai compris». Rachida, une habituée des manifs du vendredi matin, fulmine : «Le gens qui pensaient qu’on exagérait vont peut-être ouvrir les yeux maintenant sur la vraie nature de ce système !»
«Processus post-hirak »
Si ce premier tour de chauffe n’a pas pu se tenir, en revanche, on pouvait voir de petits groupes de discussion fleurir un peu partout. Le débat y allait bon train, à propos du ballet des consultations menées par M.Tebboune, de la répression qui s’abat de nouveau sur le hirak, ou encore de la dernière polémique déclenchée par Kamel Daoud. «On voit que le pouvoir s’est lancé dans un processus post-hirak.
En l’occurrence, il y a deux opérations parallèles : il y a un processus politique de normalisation avec le régime, et il y a un processus sécuritaire visant à étouffer physiquement le hirak», décrypte un manifestant visionnaire. Notre hirakiste chevronné regrette que le mouvement, au plus fort de sa mobilisation, n’ait pas pris le soin de «se structurer en groupes organisés, de 400 à 500 personnes, chacun représentant un courant déterminé, et ça, ça aurait donné plus de force au hirak», estime-t-il.
El Watan
Mustapha Benfodil