‘est un tweet, d’apparence anodine, qui a provoqué la colère de nombreux Iraniens. Jeudi, Emmanuel Macron s’est fendu d’un message de 255 caractères annonçant le déploiement dans le détroit d’Ormuz d’une force européenne (Allemagne, Belgique, Danemark, France, Grèce, Italie, Pays-Bas et Portugal) visant à renforcer la sécurité maritime, mise à mal l’été dernier par les attaques attribuées à l’Iran de plusieurs pétroliers.
Par ce tweet, le président de la République indique qu’il refuse de se joindre à la « pression maximale » des États-Unis contre la République islamique, les États-Unis ayant lancé leur propre initiative de sécurité maritime dans le détroit d’Ormuz. Ce faisant, Emmanuel Macron utilise dans son message l’appellation « Golfe arabo-persique », en lieu et place du traditionnel « Golfe persique ». Un choix qui a provoqué l’ire de nombreux internautes iraniens, qu’ils soient partisans ou opposants de la République islamique.
« Pourquoi [réviser] l’Histoire et la géographie », a réagi sur Twitter Roohollah Shahsavar, fondateur du site d’information sur l’Iran Lettres persanes. « C’est le Golfe persique, Monsieur le Président, et ça l’a toujours été. » « Regardez le nom de ce Golfe sur cette ancienne carte française datant de 1878 », a renchéri @Hashshaashin, photo à l’appui. « Il y est inscrit Golfe persique. » « D’un point de vue géographique et traditionnel, on a toujours utilisé l’appellation Golfe persique, d’autant que les monarchies arabes de la région n’existaient pas il y a cinquante ans », explique au Point le géographe Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de l’Iran.
Mais la donne change à partir du premier choc pétrolier de 1973. « L’émergence des monarchies arabes a modifié l’équilibre des forces dans la région », ajoute Bernard Hourcade. « L’Arabie saoudite a dès lors œuvré pour que la toponymie du Golfe persique change, en payant notamment les grands Atlas internationaux. Face aux efforts de Riyad, l’Iran est entré dès 1974 dans une politique médiatique de défense de ce territoire. »
Sans surprise, le tweet présidentiel français a entraîné sur Twitter une réponse officielle de Téhéran : « Je tiens à rappeler à Emmanuel Macron que le Golfe se trouvant au sud [de l’]Iran n’a qu’un seul nom : le Golfe persique », a rétorqué Abbas Moussavi, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères. « Votre présence militaire dans cette zone est autant erronée que sa dénomination […] Ces deux grandes erreurs sont pourtant corrigeables. »
En utilisant l’appellation « Golfe arabo-persique », le président de la République avait pourtant tenté de jouer la neutralité entre ses alliés du Golfe, Arabie saoudite et Émirats arabes unis en tête, et l’Iran, avec lequel il reste toujours engagé dans une volonté de désescalade dans la crise opposant Washington à Téhéran. « D’un point de vue politique, le président français reste le seul chef d’État qui peut prendre son téléphone et appeler Hassan Rohani quand il le souhaite et c’est une réussite », analyse Bernard Hourcade.
« Manque de finesse »
« Maintenant, d’un point de vue culturel, ajoute le géographe, on constate un manque de finesse et de connaissance de la réalité psychologique iranienne, qui compte beaucoup avec Téhéran. Il faut faire preuve de doigté avec les Iraniens et savoir boire des hectolitres de thé pour négocier. Au contraire, un tweet est comparable à une bombe lancée par drone. »
Une autre déclaration du président de la République a fait récemment grincer des dents en Iran. Le 5 janvier dernier, deux jours après l’élimination dans une frappe de drone américain du général iranien Qassem Soleimani, pourtant commandant d’une armée régulière invité par les autorités irakiennes à Bagdad, Emmanuel Macron a fait part de sa préoccupation quant au « rôle négatif joué par l’Iran dans la région, en particulier par la force al-Qods sous l’autorité du général Soleimani », dans un communiqué conjoint avec la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre britannique Boris Johnson.
« Il n’a pas été bien conseillé »
« Le président français Emmanuel Macron devrait mieux connaître notre peuple », souligne un haut diplomate moyen-oriental. « Il a beaucoup œuvré à trouver une issue à la crise avec les États-Unis, mais il n’a pas été bien conseillé sur ce coup. Il devrait montrer davantage de respect à la population iranienne qui a massivement manifesté en hommage au général Qassem Soleimani. » Interrogé à Paris, un diplomate européen rappelle à toutes fins utiles que Qassem Soleimani figurait sur la liste noire de l’Union européenne en matière de terrorisme.
L’escalade rhétorique actuelle entre Paris et Téhéran a lieu sur fond d’aggravation sensible de la crise sur le nucléaire iranien. Mardi dernier, les trois pays européens signataires de l’accord sur le nucléaire iranien, dont Donald Trump s’est unilatéralement retiré en mai 2018, ont déclenché le « mécanisme de règlement des différends » prévu par le texte en réponse à la décision de Téhéran de ne plus limiter son équipement en centrifugeuses, un processus pouvant aboutir à la détention par l’Iran de l’arme atomique.
Menaces de Trump
Si la décision européenne était prévue et peut déboucher à terme sur le retour des sanctions internationales contre la République islamique (l’Iran est déjà frappé depuis 2018 par les sanctions unilatérales américaines, NDLR), elle a été ternie par les révélations du Washington Post selon lesquelles Donald Trump avait menacé de taxer à hauteur de 25 % les importations de voitures européennes s’ils ne déclenchaient pas le mécanisme de résolution des différends, ce qui a été confirmé par Berlin.
S’exprimant vendredi à l’occasion de la grande prière hebdomadaire à Téhéran, pour la première fois en huit ans, le Guide suprême iranien en a d’ailleurs profité pour égratigner la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. « Il est prouvé maintenant […] que ces trois gouvernements européens sont les valets de l’Amérique et ces gouvernements lâches attendent que l’Iran se soumette », a lancé depuis la tribune de Mossala l’ayatollah Khamenei, sans pour autant définitivement fermer la porte à des négociations avec le Vieux Continent.
Le Point.fr