Des millions de civils du Soudan du Sud ont été délibérément privés d’accès aux services de base et beaucoup sont délibérément affamés, tandis que les revenus de l’état ont été détournés par les responsables politiques du pays, selon un rapport de la Commission des droits de l’homme des Nations unies sur le Soudan du Sud publié jeudi à Genève.
« Aujourd’hui au Soudan du Sud, les civils sont délibérément affamés, systématiquement surveillés et réduits au silence, arbitrairement arrêtés et détenus, et se voient refuser l’accès à toute réelle justice », poursuit le document.
« Les fonctionnaires du gouvernement du Soudan du Sud sont impliqués dans le pillage des fonds publics ainsi que dans le blanchiment d’argent, la corruption et l’évasion fiscale », a déclaré la Présidente de la Commission, Yasmin Sooka.
Selon les enquêteurs de l’ONU, « des millions de dollars ont été ainsi détournés par le Trésor public », « épuisant des ressources » qui auraient pu être utilisées pour promouvoir les droits socio-économiques des Sud-Soudanais.
« Les niveaux extrêmes de pauvreté et le manque d’accès aux services essentiels tels que les soins de santé et l’éducation ont été exacerbés par des actes qui équivalent à des crimes économiques perpétrés par des membres de l’appareil étatique », déplore le rapport.
« De hauts fonctionnaires ont utilisé leurs fonctions officielles pour influencer les décisions relatives à l’allocation des ressources de l’État et aux marchés publics, détournant les fonds publics à des fins personnelles et pour en tirer des avantages », a ajouté Mme Sooka.
Affamer selon des critères ethniques et politiques
Cette commission, mise en place en 2016 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, a étudié les abus commis entre septembre 2018, date de la signature d’un accord de paix à Addis Abeba (Ethiopie), et décembre 2019.
Les trois membres de cette commission considèrent que le pillage des fonds publics par les autorités a un impact catastrophique sur la situation humanitaire au Soudan du Sud, laissant les gens ordinaires dans l’insécurité alimentaire. Plus de la moitié de la population, principalement des femmes et des enfants, sont ainsi confrontés à « une insécurité alimentaire aiguë en raison de la politique délibérée des différentes parties au conflit qui consiste à empêcher l’aide humanitaire d’atteindre les civils ».
Cette tactique d’affamer « délibérément » se produit clairement selon « des critères ethniques et politiques ». Une façon pour les enquêteurs onusiens de dénoncer cet « effort » fait pour « marginaliser les communautés dissidentes ». Or selon Andrew Clapham, membre de la Commission, « affamer délibérément peut constituer un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ».
Ce quatrième rapport, publié juste avant la date limite du 22 février pour la formation d’un gouvernement d’union nationale au Soudan du Sud, affirme d’ailleurs que la corruption et la concurrence politique ont alimenté les violations des droits humains et sont les principaux moteurs des conflits ethniques.
A cet égard, les enquêteurs soulignent que la « paix fragile » notée ces derniers mois s’est transformée en « une intensification de la violence ethnique à un niveau localisé ». Le rapport relève ainsi avec une grande inquiétude le nombre d’attaques brutales impliquant des raids visant le bétail par des membres de l’appareil d’État et de l’opposition. Des attaques qui se traduisent par des taux alarmants de déplacement selon des critères ethniques, en particulier dans les États du Bahr el Ghazal occidental, de l’Unité et du Jonglei.
Poursuite de la guerre du bétail et du recrutement d’enfants-soldats
Bien que les conflits localisés soient souvent caractérisés comme des affrontements ethniques traditionnels portant sur le bétail ou la criminalité impliquant des citoyens privés, la Commission a constaté que les milices locales alignées sur les parties belligérantes, y compris le gouvernement, bénéficiaient du personnel et des armes, y compris des armes de qualité militaire, fournis par les parties au conflit.
Par ailleurs, les forces gouvernementales et de l’opposition continuent à recruter de force des hommes et des garçons en violation du droit international humanitaire.
La Commission a documenté des incidents impliquant huit unités distinctes des forces armées et des groupes armés qui recrutent, entraînent et utilisent des enfants âgés de 12 ans seulement. « Une impunité enracinée et l’absence de reddition des comptes, caractérisées par l’incapacité persistante à traiter les violations passées et actuelles, ont été un facteur clé de la violence au Soudan du Sud », a insisté Yasmin Sooka.
S’il est essentiel que les auteurs de ces crimes rendent des comptes un jour, en attendant, la Commission a demandé à l’Union africaine et au gouvernement de Juba d’établir un calendrier pour la mise en place sans délai du Tribunal hybride du Soudan du Sud et des autres instruments de justice transitionnelle décrits dans l’accord de paix revitalisé.
La formation d’un gouvernement d’union nationale, initialement prévue en mai 2019, a été reportée une première fois au 12 novembre 2019. Puis un nouveau délai de 100 jours a été accordé aux deux rivaux, qui ont depuis multiplié les réunions pour résoudre leurs différends avant la nouvelle date-butoir du 22 février.
« Le Soudan du Sud se trouve à un moment critique où ses dirigeants doivent faire des choix fermes pour faire avancer le processus politique bloqué de mise en œuvre de l’Accord revitalisé sur la résolution du conflit au Soudan du Sud », a conclu Barney Afako, membre de la Commission.
Plus de 6 millions de Sud-Soudanais menacés par une insécurité alimentaire aiguë
La publication du rapport intervient alors que trois agences des Nations Unies ont lancé jeudi une mise en garde sur l’insécurité alimentaire qui frappe des millions de Sud-Soudanais.
Quelque 6,5 millions de personnes au Soudan du Sud – plus de la moitié de la population – pourraient être en situation d’insécurité alimentaire aiguë au plus fort de la période allant de mai à juillet, ont averti l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le Programme alimentaire mondial (PAM) dans un communiqué de presse conjoint.
La situation est particulièrement préoccupante dans les zones les plus durement touchées par les inondations de 2019, où l’insécurité alimentaire s’est considérablement détériorée depuis juin dernier, ont ajouté les trois agences.
La faim devrait s’aggraver dans les mois à venir, principalement en raison de l’épuisement des stocks alimentaires et des prix élevés des denrées alimentaires. Dans l’ensemble, les effets cumulatifs des inondations et des déplacements de population qui y sont liés, de l’insécurité localisée, de la crise économique, de la faible production agricole et des années prolongées d’épuisement des ressources continuent d’affecter durement la population.
Source : ONU Info