« Si l’on s’intéresse aux admissions à l’hôpital, il y a eu, durant ces dernières 24 heures, 67 nouveaux patients admis à l’hôpital. C’est un indicateur dont la tendance est à la baisse, en l’occurrence de 8% par jour« .
C’est clair : à la conférence de presse quotidienne des chiffres de l’épidémie, Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral de la lutte contre le coronavirus, se veut résolument optimiste. Nouveaux cas détectés, personnes en soins intensifs, etc : tous les chiffres sont en effet en baisse. Mais faut-il pour autant être optimiste ? Pour certains, il est trop tôt pour le dire.
Cela a commencé avec l’épidémiologiste et membre du groupe d’experts en charge du déconfinement, Marius Gilbert, qui, sur le plateau du journal télévisé jeudi soir, a déclaré qu' »on parle de bons chiffres, oui, mais ils ne sont pas suffisamment bons, pas aussi bons qu’espérés, en tout cas« .
Pourquoi selon lui? Simplement parce que la première phase du déconfinement (activée le 4 mai), n’a pas encore d’impacts sur les chiffres aujourd’hui, puisqu’il faut une dizaine de jours (durée moyenne d’incubation) pour en ressentir ses effets, notamment sur les admissions à l’hôpital. « Cela veut dire que les chiffres que nous observons maintenant sont consécutifs plutôt à l’annonce de ses mesures communiquées le 24 avril, soit dix jours avant leur entrée en application. Ce qui signifie qu’il y a déjà eu un effet de relâchement à partir de cette date (du 24 avril)« , alerte le scientifique de l’ULB.
Dit autrement : si la population est passée outre les règles de confinement dès l’annonce des mesures d’assouplissement, imaginez les conséquences dès l’application légale de celles-ci… Marius Gilbert avoue être « préoccupé« .
Ajoutez à cela une enquête sur le comportement des Belges face au respect du confinement, dont les résultats publiés par Sciensano révèle qu’ils sont de moins en moins à respecter les règles, et l’inquiétude grandit.
« Je ne suis pas épidémiologiste mais…«
Nicolas Vandewalle est professeur en physique statistique à l’ULiège. Depuis le début de l’épidémie, il analyse en détails les données, dont il publie les modèles sur son fil Twitter quotidiennement. « J’utilise des modèles extrêmement bien éprouvés qui sont notamment utilisés par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), et celui que j’utilise est spécifique aux hôpitaux« , précise notre interlocteur.
Il se base donc sur des données fiables et disponibles, en l’occurrence, le nombre de patients hospitalisés, le nombre de patients aux soins intensifs et les décès en hôpital. « J’arrive donc à suivre au plus près l’épidémie« . Revers de la médaille, « il y a un délai, puisqu’il faut compter dix ou douze jours entre le moment où une personne est contaminée et le moment où cette personne arrive à l’hôpital, à la suite de la dégradation de son état de santé.«
Et ces chiffres, alors, que disent-ils ? « Je ne suis pas épidémiologiste, mais si je me concentre sur mon métier, la statistique, oui, ils vont dans le bons sens« . Même si Nicolas Vandewalle indiquait, ce jeudi, chez nos confrères de L’Avenir, un « petit bond » de l’épidémie en province de Namur tout en précisant qu’il ne faut rien y voir de grave, sauf si cela se poursuit sur le long terme.
« Une deuxième vague est hautement probable »
« C’est ce qui me préoccupe« , ajoute le chercheur. Car si aujourd’hui le taux de reproduction du virus en Belgique est passé sous la barre de 1 – « il se situe entre 0,5 et 0,7 pour l’instant » – on n’est pas à l’abri d’une remontée, selon M. Vandewalle, qui précise : « Si ce chiffre reste sous 1 dans les jours qui viennent, c’est bon. Mais si cela augmente, il faudra s’inquiéter. Et regardez bien, c’est ce qui se passe en Allemagne. Le pays d’Angela Merkel a déconfiné, comme chez nous, et puis on a vu ce taux de reproduction du virus à nouveau augmenter.«
Alors, faut-il s’attendre à une deuxième vague ? C’est hautement probable selon le professeur de physique-statistique. En quelque sorte, la question n’est pas si, mais quand.
« Je suis aussi très préoccupé, en réalité. C’est très difficile de prédire la hauteur de cette vague, son amplitude et surtout quand elle arrivera. Il faudra être très attentif aux chiffres de la semaine prochaine, ils seront très intéressants. Mais je suis inquiet pourquoi ? Parce que, c’est un ressenti, mais je suis très interloqué par le comportement des gens autour de moi. Quand je me rends dans une grande surface et que je vois très peu de monde avec un masque. La population a peut-être mal compris ce que les autorités ont dit et répété concernant les gestes barrière… » interpelle notre interlocuteur, qui précise à nouveau : « Je ne fais partie d’aucun groupe d’experts mandatés par le gouvernement, tout cela n’est que mon avis.«
Un rebond qui va arriver mais tout à fait maîtrisable
La prudence reste de mise, d’autant que dès lundi 18 mai, une nouvelle phase du déconfinement doit avoir lieu, avec notamment le retour à l’école pour certains élèves et la reprise de marchés en plein air.
Mais pour Yves Coppieters, épidémiologiste et professeur à l’ULB, « on peut craindre ce rebond dans dix ou quinze jours, mais il doit être maîtrisé et c’est possible« , dit-il. Comment? « On connaît les ingrédients : il faut absolument que les personnes symptomatiques aillent rapidement se faire dépister, ce qui nécessite que ces résultats doivent arriver très vite, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il faut aussi que les personnes fragilisées se protègent, et enfin, que tout le monde, au quotidien, continue d’appliquer les gestes barrière, car c’est la seule manière efficace pour éviter ce rebond…«
Des conditions sine qua non pour envisager la suite du déconfinement en Belgique.
RTBF