Les journalistes et les travailleurs des médias sont confrontés à une politisation croissante de leur travail et à des menaces contre leur liberté de faire simplement leur travail, qui augmentent de jour en jour, a déclaré l’ONU à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Cette journée met en lumière le travail essentiel qu’ils accomplissent, en amenant les détenteurs du pouvoir à rendre des comptes, dans la transparence, « souvent au péril de leur vie », a souligné le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, dans un message vidéo.
« Nous rendons tout particulièrement hommage à ceux qui n’ont guère d’autre choix que de travailler dans un contexte toujours plus marqué par le harcèlement, l’intimidation, la surveillance et les risques pour leur vie et leurs moyens de subsistance », a déclaré de son côté, Michelle Bachelet, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.
« Ils le font pour le bien de chacun d’entre nous. Pour que nous ayons accès à des informations libres, précises et indépendantes. Pour que nous puissions vivre dans des sociétés justes et pacifiques. Leur travail contribue à jeter les bases de certains des droits de l’homme fondamentaux dont nous devrions tous jouir : la liberté d’opinion, d’information et d’expression », a-t-elle insisté.
En première ligne des crises
« Tout au long de la pandémie de la Covid-19, de nombreux travailleurs des médias ont été en première ligne, fournissant des reportages précis et fondés sur des données scientifiques pour informer les décideurs et sauver des vies », a déclaré le Secrétaire général de l’ONU.
« Dans le même temps, les journalistes qui couvrent le climat, la biodiversité et la pollution ont réussi à attirer l’attention mondiale sur cette triple crise planétaire », a-t-il indiqué.
Mais les menaces qui pèsent sur leur liberté de mener à bien leurs reportages et de raconter des histoires de manière juste et précise, se multiplient chaque jour.
« De la santé mondiale à la crise climatique, en passant par la corruption et les violations des droits de l’homme, ils sont confrontés à une politisation accrue de leur travail et à des tentatives de les réduire au silence de toutes parts », a expliqué António Guterres.
Selon Michelle Bachelet, le nombre de journalistes détenus dans le monde est passé à 293 l’année dernière. « Les procédures judiciaires sont également de plus en plus utilisées contre les journalistes d’investigation pour entraver leur travail », a-t-elle déclaré.
Les assassinats de journalistes se poursuivent également dans le monde entier. Bien que le nombre de meurtres de journalistes signalés ait diminué l’année dernière pour atteindre 55 décès, l’impunité reste généralisée : 87% des meurtres commis depuis 2006 n’ont toujours pas été élucidés, a indiqué l’UNESCO dans un rapport.
Défis de la technologie numérique
Bien que « la technologie numérique ait démocratisé l’accès à l’information, elle a aussi créé de sérieux défis », a indiqué António Guterres.
Pour la Directrice générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Audrey Azoulay, « l’émergence des plates-formes en ligne soulève la question de la viabilité économique des médias indépendants et pluralistes, et bouscule les chaînes de valeur et les modèles économiques existants ».
Le chef de l’ONU a, quant à lui, noté que de nombreuses plateformes de médias sociaux gagnent leur argent non pas en améliorant l’accès à des reportages fondés sur des faits, mais en stimulant l’engagement, « ce qui signifie souvent provoquer l’indignation, et diffuser des mensonges ».
« Les travailleurs des médias dans les zones de guerre sont menacés non seulement par les bombes et les balles, mais aussi par les armes de falsification et de désinformation qui accompagnent la guerre moderne. Ils peuvent être attaqués comme ennemi, accusés d’espionnage, détenus ou tués, simplement pour avoir fait leur travail », a-t-il déclaré.
L’ère du numérique a ainsi amplifié le risque, pour les professionnels des médias et leurs sources, d’être pris pour cible, harcelés et attaqués par divers moyens, par exemple la rétention de données, les logiciels espions et la surveillance numérique, a indiqué Mme Azoulay.
Mme Bachelet a expliqué que l’utilisation croissante d’outils de surveillance – tels que les logiciels espions Pegasus ou Candiru – s’immisce profondément dans les appareils et la vie des gens. « Ces outils sont un affront au droit à la vie privée et une obstruction à la liberté d’expression », a-t-elle insisté.
« L’utilisation de logiciels espions a conduit à des arrestations, des intimidations et même des meurtres de journalistes. Elle a mis en danger leurs sources. Elle a mis leurs familles en danger », a-t-elle expliqué, indiquant que pour contrer ces risques, les journalistes sont souvent contraints d’emprunter la voie dangereuse de l’autocensure.
Selon Mme Bachelet, le logiciel espion Pegasus serait utilisé dans au moins 45 pays, souvent dans le plus grand secret et en dehors de tout cadre légal. « Ces nouvelles méthodes de surveillance, qui évoluent rapidement, présentent un grand nombre de risques et de défis », a-t-elle mis en garde.
D’après, le Secrétaire général de l’ONU, la technologie numérique a facilité également la censure pour les gouvernements autoritaires et autres, « qui cherchent à supprimer la vérité, de nombreux journalistes et rédacteurs étant confrontés quotidiennement à la perspective de voir leur travail mis hors ligne ».
Les femmes sont particulièrement exposées
La technologie numérique crée également de nouveaux canaux d’oppression et d’abus, les femmes journalistes étant particulièrement exposées au harcèlement et à la violence en ligne.
L’UNESCO a constaté que près des trois quarts des femmes interrogées avaient subi des violences en ligne. Le piratage et la surveillance illégale empêchent également les journalistes d’effectuer leur travail.
« Et comme ces technologies font rarement l’objet de réglementations transparentes ou d’une obligation de rendre des comptes, les auteurs de ces violences agissent en toute impunité, en ne laissant souvent aucune trace », a déploré la cheffe de l’UNESCO, Audrey Azoulay.
« Les méthodes et les outils changent, mais l’objectif de discréditer les médias et de dissimuler la vérité reste le même » conduisant les citoyens qui vivent dans des sociétés sans médias libres à être « manipulés de manière horrible », a déclaré pour sa part le chef de l’ONU.
Plan d’action sur la sécurité des journalistes
Le Secrétaire général de l’ONU a rappelé que « sans liberté de la presse, il n’y a pas de véritables sociétés démocratiques. Sans liberté de la presse, il n’y a pas de liberté ».
Cela doit cesser, a appelé la Directrice générale de l’UNESCO. « Les avancées technologiques doivent s’appuyer sur le respect de la liberté, de la confidentialité et de la sécurité des journalistes. Les réseaux sociaux, en particulier, doivent multiplier les efforts pour contrer la désinformation et les discours de haine généralisés, tout en protégeant la liberté d’expression ».
Le respect des droits de l’homme n’est pas seulement le devoir des États, a, de son côté, déclaré Michelle Bachelet. Elle a encouragé les entreprises privées de surveillance « à affirmer publiquement leur responsabilité en matière de respect de la liberté d’expression et de la vie privée, à procéder à des contrôles préalables en matière de droits de l’homme et à établir des rapports transparents sur leurs activités ». Et elle a insisté pour que cela se fasse en consultation régulière avec la société civile.
Il y a dix ans, l’ONU a établi un plan d’action sur la sécurité des journalistes, afin de protéger les travailleurs des médias et de mettre fin à l’impunité pour les crimes commis à leur encontre, et l’ONU continue de se battre pour protéger leurs droits.
Durant les 10 prochaines années et pour redynamiser la lutte pour la sécurité des journalistes, la liberté d’expression et l’accès à l’information pour tous, les Présidents de l’Assemblée générale des Nations Unies, de la Conférence générale de l’UNESCO et du Conseil des droits de l’homme ont appelé, dans une déclaration conjointe, les États membres, le système des Nations Unies, les entités régionales, la société civile, le système judiciaire et tous les acteurs concernés à unir leurs forces pour promouvoir les objectifs du Plan d’action des Nations Unies.
« En travaillant ensemble pour renforcer sa mise en œuvre et atteindre l’objectif 16.10 des ODD (garantir l’accès public à l’information), nous pouvons continuer à créer un environnement plus sûr et plus propice pour les journalistes et les professionnels des médias, et protéger le droit de chaque citoyen à des informations fiables et, souvent, vitales », ont-ils conclu.