Vincent Van Quickenborne a assumé sa responsabilité politique, mais la gravité des faits laisse la Vivaldi en position très délicate. Notamment après le plaidoyer insistant sur la mauvaise volonté des pays d’Afrique du Nord à accepter les rapatriements. Un kern est convoqué samedi, on va mesurer les dégâts. Rapporte le Média Belge (Le Soir).
Avec la démission de Vincent Van Quickenborne vendredi soir, et la commotion politique majeure qu’elle représente, la question s’est posée très vite dans la foulée : le gouvernement fédéral tiendra-t-il le coup ? Un comité ministériel restreint (kern) forcément exceptionnel est convoqué pour ce samedi, à quinze heures. La Vivaldi s’accroche, les partenaires veulent y croire. Ouvrir une crise politique à l’heure actuelle, cela pourrait livrer le pays à l’inconnu, peut-être tout droit au Vlaams Belang. Donc ? Tenir. Tout de même, l’onde de choc est rude.
Des vice-Premiers ministres racontent que lors du kern habituel vendredi matin rue de la Loi, alors que tous échangeaient à propos de la guerre au Proche-Orient qui risque de s’étendre au Liban, Alexander De Croo s’est absenté une quinzaine de minutes après un appel, « et quand il est revenu, il était blême, mais il ne nous a rien dit à ce moment-là, nous comprendrons un peu plus tard »… On confirme dans l’entourage du Premier ministre.
Alexander De Croo avait alors entendu son ministre de la Justice au téléphone, qui lui avait livré l’information : il apparaît que le 15 août 2022, la Tunisie avait demandé l’extradition Abdesalem Lassoued, un magistrat devait se prononcer chez nous, la demande n’a pas été traitée… On connaît la suite, l’attentat lundi soir à Bruxelles, deux victimes… La démission s’impose dans ces conditions, Vincent Van Quickenborne décide d’assumer la responsabilité politique de ce terrible enchaînement, Alexander De Croo est atterré, mais il ne peut que partager l’analyse de son coreligionnaire et ami libéral flamand. « Van Quick n’a pas hésité longtemps avant de démissionner », confirme un témoin. Emu, presque en larmes, le ministre de la Justice se produira en conférence de presse autour de 19 heures pour annoncer son départ du gouvernement.
Au registre « gravité des faits », Alexander De Croo sait que son gouvernement lui-même est à risques dans cette séquence accidentée. Le fusible Van Quick, qui prend sa responsabilité politique, qui se confond en excuses, qui évoque la faute lourde, ne suffira peut-être pas.
Les vice-Premiers avec lesquels nous avons pu échanger vendredi soir saluaient le geste de leur compère à la Justice – « Respect ! Ce que Vincent a fait est tout à son honneur » – et jugeaient, à chaud, que le gouvernement allait, « devait », résister au choc : « Il le faut. On ne démissionne pas à la veille d’une présidence européenne, la Belgique sera aux commandes de l’Union dès janvier », entendait-on. Ou encore ceci : « La situation internationale est préoccupante, les crises se multiplient, les guerres, il faut pouvoir réagir, gérer l’urgence, pour cela il faut un gouvernement qui gouverne, ce serait insensé de s’en aller maintenant ». Pour compléter : « En 1998, à l’évasion de Dutroux, Stefan De Clerck et Johan Vande Lanotte, ministres de la Justice et de l’Intérieur avaient démissionné, pas Jean-Luc Dehaene au Seize, son gouvernement poursuivit son chemin. Il y a une logique. Aujourd’hui encore, le ministre responsable assume la responsabilité politique des faits, c’est correct, maintenant il faut avancer ».
Il n’empêche, la façon dont Abdesalem Lassoued est passé « sous les radars » des organes de sécurité en Belgique durant plusieurs années jusqu’à commettre l’irréparable lundi soir, avec en toile de fond le traumatisme national toujours vif des attentats à Bruxelles en 2016, tout cela a pour effet aujourd’hui non seulement de voir tomber le ministre de la Justice mais aussi, assez logiquement, de faire trembler l’exécutif. Lequel ne s’est d’ailleurs pas soustrait à l’examen démocratique ces derniers jours tant les partenaires sont conscients de la gravité de la situation et entendaient, par un exercice de transparence, tout faire pour se justifier, se dédouaner : il fallait voir comment Alexander De Croo, Annelies Verlinden, ministre de l’Intérieur, Nicole de Moor, secrétaire d’Etat à l’asile et la migration, et précisément Vincent Van Quickenborne, en charge de la Justice, s’étaient expliqués très longuement, avec force détails, mercredi en commission à la Chambre, durant près de six heures où ils avaient fait face, sans rien éluder, aux interpellations des députés de l’opposition comme de la majorité.
Pour expliquer qu’Abdesalem Lassoued, certes repéré comme individu radicalisé, n’avait pas été fiché à l’Ocam, l’organe de coordination pour l’analyse de la menace en matière d’extrémisme et de terrorisme. Pour expliquer aussi plus largement que, en tout état de cause, pour ce qui concerne les expulsions d’illégaux qui seraient jugés dangereux, souvent la Belgique se heurte à l’hostilité de leurs pays d’origine, qui ne coopèrent pas… Le plaidoyer de Nicole De Moor, secrétaire d’Etat à la migration est à cet égard désormais inaudible : « Ce sont nos relations avec le pays d’origine qui posent le plus souvent problème dans le cadre de notre politique de retour. C’est là que les choses se gâtent très souvent. En particulier dans un certain nombre de pays, dont la Tunisie. »
Et voilà que trois jours plus tard, l’on apprend que la Tunisie était demandeuse pour le coup, avait formulé une demande d’extradition, et qu’un magistrat en Belgique, si l’on comprend bien, s’est assis sur le dossier… C’était l’information manquante mercredi dans le flot de celles livrées minutieusement au Parlement par les ministres responsables. Une poutre. Un vrai revers. Vendredi soir, rue de la Loi, personne n’était en mesure d’affirmer avec certitude que la démission du ministre de la Justice suffira.
Le Soir