La France connait depuis plus d’un mois un mouvement social inédit contre la réforme des retraites. L’historien Stéphane Sirot, spécialiste des grèves, du syndicalisme et des relations sociales, explique dans cet entretien accordé à Xinhua, la particularité de ce conflit, ses conséquences pour le gouvernement à quelques semaines des municipales. Mais aussi pour les syndicats qui peinent à obtenir du gouvernement des « concessions substantielles » en dépit de leur capacité à organiser des mobilisations durables.
La contestation sociale contre la réforme des retraites qui a débuté le 5 décembre 2019, présente plusieurs particularités par rapport aux conflits précédents. Selon Stéphane Sirot, professeur à l’université Cergy Pontoise et à Sciences po, outre sa durée – bientôt deux mois – le mouvement contre la réforme des retraites signe le retour en force des grèves reconductibles qui avaient quasiment disparu depuis quinze à vingt ans.
L’autre particularité qui est liée à cette grève reconductible, c’est le retour en force de la base. « Les grèves reconductibles se construisent à partir des Assemblées générales et là aussi, depuis quinze ou vingt ans la base syndicale était beaucoup moins présente qu’il n’avait pu l’être à d’autres époques », a constaté l’universitaire. Il y a donc une volonté des gens aujourd’hui, d’être impliqués directement dans la mobilisation, la gestion des conflits, a-t-il expliqué.
Selon M. Sirot, ce conflit actuel s’inscrit dans une phase de mobilisation – depuis maintenant trois ou quatre ans – quasi constante de la société française. « A ma connaissance, il n’y a pas comme c’est le cas aujourd’hui, de très longue période où il y a des contestations nationales qui se succèdent les unes après les autres avec, quasiment aucune phase d’interruption entre les deux. C’est une spécificité », a-t-il indiqué.
Et l’universitaire explique cette mobilisation permanente et inédite depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron par ses réformes. « On voit que les mobilisations durent et quand il y a une qui s’arrête, c’est une autre qui reprend. Il y a une colère très profonde de la part d’une partie de la population française vis-à-vis des réformes libérales », a dit M. Sirot.
D’où la volonté de l’intersyndicale et des personnes qui restent mobilisées à faire durer la contestation. Ce qui va conduire selon Stéphane Sirot à deux sortes de mobilisations : une mobilisation brève, avec des opérations coup de poing, comme les coupures de courant ciblée, des petites manifestations non déclarées etc. Et une mobilisation classique qui est celle de l’intersyndicale « qui va sans doute continuer des journées d’action régulières en fonction de l’évolution du processus législatif, afin de ne pas laisser s’éteindre une protestation et, fragiliser le pouvoir ».
Sur les conséquences de ce long conflit social, le chercheur explique que cela se traduirait dans la perspective des prochaines élections, par une inversion de logique en terme de soutien électorale pour le gouvernement. « Macron en 2017 a été élu au second tour avec les voix du centre gauche. Il a compris que s’il veut être réélu en 2022 et, passer le premier tour, ça sera désormais avec les voix du centre droit et de la droite », a indiqué M. Sirot.
Sur cette base, il y aura toujours des réformes qui s’adresseront à un électorat plutôt marqué à droite. « Le pouvoir aujourd’hui, joue sa pérennité, sa survie, sa réélection à partir de ce socle électoral de droite, et donc il n’y a aucune raison de s’arrêter de ce point de vu là, sauf à être confronté à un conflit qui le déborderait de façon totale », a-t-il expliqué.
Ainsi les conséquences pour les syndicats c’est la difficulté à laquelle ils vont être confrontés à la fois pour cette réforme contre les retraites et les réformes à venir. Difficulté liée notamment à la remobilisation des troupes, après plus d’un mois de grève ayant coûté en terme d’énergie mais aussi de financier avec un mois de salaire perdu pour certains grévistes, a rappelé M. Sirot.
L’autre difficulté à laquelle les syndicats devront faire face, est selon lui l’apparition dans le panorama social français, de mouvements sociaux de type gilet jaune qui fonctionne dans les réseaux sociaux, sans organisation traditionnelle. « Il va falloir s’habituer pour les syndicats à voir des mouvements sans fondement qui soient eux-même à la manœuvre dans un premier temps », analyse l’universitaire.
Selon Stéphane Sirot, ce conflit montre certes que les syndicats existent toujours et qu’il y a encore une capacité à organiser des mobilisations fortes et durables, mais « ils ont du mal à obtenir des concessions véritablement substantielles et aussi beaucoup de difficultés à élargir ces mobilisations vers le secteur privé ».
Xinhua