Pourquoi, en 2020, l’orgasme reste-il un sujet tabou à bien des égards ?
Longtemps passé sous silence, l’orgasme féminin sort peu à peu de l’anonymat, comme de nombreux articles de presse le prouvent. Pourtant, une gêne persiste lorsqu’il s’agit d’aborder l’orgasme dans sa globalité. Entre amis, dans le cabinet du médecin, à l’école et même au sein du couple. Et les hommes aussi sont concernés par ce phénomène. Charlotte Leemans, sexologue, analyse les causes et les répercussions des tabous qui subsistent autour de l’orgasme.
Le sujet de l’orgasme est-il encore tabou en en 2020 ?
Charlotte Leemans : C’est vrai qu’on en parle plus aujourd’hui mais il y a encore beaucoup de non-dits, surtout en ce qui concerne les orgasmes dits « féminins ».
On sait très bien quoi faire au niveau médical pour donner une érection
à un homme. Ce qui est loin d’être le cas pour les femmes. Je pense
qu’on a encore cette idée qu’un homme a besoin de connaître l’orgasme,
et que c’est « moins grave » pour une femme de ne pas l’atteindre.
Malheureusement, il y a un nombre encore important de femmes qui se
disent qu’elles ne sont « pas faites » pour avoir d’orgasme et qu’elles ne
peuvent rien y faire. Or, toutes les femmes sont en
principe en mesure d’atteindre l’orgasme. Il y a notamment tout un
travail d’éducation à faire auprès des femmes qui ne pratiquent pas la masturbation parce
qu’elles ont peur, honte ou que cela les dégoûte. Or la masturbation
est, avec l’acte sexuel et les fantasmes, l’un des trois piliers
fondamentaux de la sexualité.
Quid de l’orgasme « masculin« ?
Chez les hommes, on parle surtout de l’orgasme pénien. Pourtant, deux autres possibilités de jouir s’offrent à eux: l’orgasme par pénétration anale et l’orgasme prostatique.
Cette dernière pratique n’est pas encore suffisamment explorée, mais
commence à l’être. Je reçois certains patients très curieux à ce sujet
qui me posent toutes sortes de questions.
L’anus est une zone fortement érogène, qui comporte plus de 5.000
terminaisons nerveuses qu’on peut stimuler par une caresse et, pourquoi
pas, une pénétration. Chez l’homme, la particularité est qu’au bout du
rectum, il y a sa prostate, zone également intéressante à stimuler. Mais
cela provoque une sorte de malaise, voire de rejet. Certains invoquent
des raisons d’hygiène, le rectum étant un nid privilégié pour les
bactéries. L’autre argument est plus social: certains hommes se sentent
atteints dans leur « virilité » et associent ce type de plaisir à l’homosexualité, ce qui n’a évidemment rien à voir.
L’orgasme est aussi une forme d’injonction: l’homme doit se retenir pour ne pas aller « trop vite« , une femme doit en avoir au risque qu’on lui colle l’étiquette de « femme frigide« … Comment expliquer ce paradoxe?
D’un côté on a le tabou, de l’autre la pression de la performance, qui nous pousse à être parfait. La sexualité peut aussi dans certains pays se transformer une arme de guerre et faire beaucoup de mal. Une personne violée pourra par exemple éprouver des difficultés à comprendre que quelque chose qui lui a fait autant souffrir peut également lui faire beaucoup de bien. La dimension émotionnelle et les éventuels dangers (maladies, grossesse non désirée) du sexe contribuent à rendre le sujet extrêmement complexe, ce qui pourrait expliquer ce type de paradoxe.
D’autant que l’orgasme n’est pas toujours la condition sine qua none d’un rapport sexuel réussi…
Il n’y a en effet aucune contrainte à proprement parler. Toutefois, j’utilise souvent l’image de la forêt pour expliquer à mes patients et à mes patientes que, si on apprécie une longue balade dans les bois, mais sans jamais arriver au panorama, peut-être qu’on aura à la longue moins envie de marcher. L’orgasme peut s’avérer précieux pour conserver une vie sexuelle satisfaisante, a fortiori dans les relations longue durée.
En février dernier, un sondage réalisé pour le site Online
Seduction a montré que 59% des femmes ont déjà simulé un orgasme sexuel
au cours de leur vie. Un chiffre qui passe à 42% chez les hommes…
Il est plus facile de simuler un
orgasme pour une femme que pour un homme, même si l’inverse est
également possible. Plusieurs raisons l’expliquent: ne pas froisser son
partenaire, l’angoisse de performance ou encore la crainte de perdre
l’amour ou le désir de sa moitié.
Mais je pense que c’est dommage d’en arriver là car ce manque de communication peut nous faire passer à côté d’expériences intéressantes. Mais tout est une question de fréquence: simuler une fois ou deux n’est pas dramatique. C’est quand cela devient systématique qu’il faut tirer la sonnette d’alarme.
AFP avec RTBF Tendance