Le Parlement européen et le Conseil européen se sont mis d’accord sur le projet de loi visant à protéger les journalistes de l’UE contre les menaces pesant sur la liberté de la presse et la viabilité du secteur.
Conformément à l’accord politique provisoire conclu entre les colégislateurs le vendredi 15 décembre 2023 sur la législation européenne sur la liberté des médias, les États membres devront veiller à ce que les citoyens aient accès à une pluralité de contenus médiatiques indépendants sur le plan éditorial.
Les tractations entre le Parlement et les vingt-sept capitales auront été rudes jusqu’à la fin car plusieurs État membres de l’Union européenne (UE) – dont la France et l’Italie – voulaient des exceptions au nom de leur droit à sauvegarder leur sécurité nationale.
Selon les négociateurs du Parlement, une des grandes qualités de ce règlement européen est de repousser ce qui permettrait aux États de justifier l’espionnage des journalistes et des médias.
Les pays de l’UE devront plus précisément garantir l’indépendance éditoriale et fonctionnelle des médias publics grâce à :
– la nomination de directeurs et de membres des conseils d’administration en suivant des procédures transparentes et non discriminatoires. Leur mandat devra être suffisamment long pour garantir l’indépendance du média et les renvoyer avant la fin de leur mandat sera interdit, sauf s’ils ne remplissent plus les critères de performance qui leur sont assignés (examen judiciaire possible) ;
– des procédures de financement transparentes et objectives, ainsi qu’un financement durable et prévisible, pour préserver l’indépendance ;
– un contrôle indépendant de l’indépendance politique des médias, avec des rapports publics.
Protection du travail des journalistes
Les autorités des États membres n’auront pas le droit d’interférer avec les décisions éditoriales.
Les députés ont obtenu l’interdiction d’obliger les journalistes et les rédacteurs en chef à révéler leurs sources, que ce soit par détention, des sanctions, des perquisitions de bureaux ou l’installation de logiciels de surveillance intrusifs sur leurs appareils.
Par dérogation, de telles interférences ne seront permises qu’au cas par cas « pour une raison impérieuse d’intérêt public », sous réserve de l’autorisation d’une autorité judiciaire. L’utilisation de logiciels de surveillance intrusifs à l’encontre de journalistes devra également être justifiée dans le cadre d’enquêtes sur des infractions graves passibles d’une peine privative de liberté dans l’État membre concerné. Dans ce cas, les mesures de surveillance devront être régulièrement contrôlées par les autorités judiciaires.
Même dans ces cas, le droit des personnes concernées d’être informées de la surveillance en cours et de bénéficier d’une protection judiciaire s’appliquera.
Transparence de la propriété effective
Pour évaluer l’indépendance des médias, cette législation européenne obligera les médias, y compris les microentreprises, à publier des informations sur leurs propriétaires directs et indirects, y compris s’ils appartiennent directement ou indirectement à l’État ou à une autorité publique, dans une base de données nationale.
Les médias devront également rendre compte des fonds reçus de la publicité publique et du soutien financier de l’État. Cela inclut les fonds provenant de pays tiers.
Dispositions contre les décisions arbitraires des grandes plateformes
Les députés sont parvenus à négocier la création d’un système garantissant que les décisions relatives à la modération des contenus par les très grandes plateformes en ligne n’affectent pas négativement la liberté de la presse.
Les plateformes devront d’abord distinguer les médias indépendants des sources non indépendantes. Les médias seront notifiés de l’intention d’une plateforme de supprimer ou de restreindre leur contenu et disposeront de 24 heures pour y répondre (délai plus court en cas de crise).
Si, après la réponse (ou en l’absence de celle-ci), la plateforme considère toujours que le contenu n’est pas conforme à ses conditions, elle peut procéder à la suppression ou à la restriction. Toutefois, si les médias estiment que la décision n’est pas fondée sur des motifs suffisants et porte atteinte à la liberté de la presse, ils auront le droit de porter l’affaire devant un organe de règlement extrajudiciaire des litiges et de demander un avis au comité européen pour les services de médias (un nouveau comité de l’UE composé de régulateurs nationaux devant être mis en place par la législation européenne sur la liberté des médias).
Une répartition équitable de la publicité publique
Afin de garantir que les médias ne dépendent pas de la publicité publique, les fonds publics destinés aux fournisseurs de services de médias ou aux plateformes en ligne seront alloués au moyen de procédures ouvertes et non discriminatoires, sur la base de critères publics. Les États membres devront distribuer les dépenses publiques de publicité à un large éventail de médias.
Les autorités publiques publieront chaque année des informations sur leurs dépenses de publicité, le montant total annuel dépensé et les montants dépensés par fournisseur de services de médias ou par plateforme en ligne.
« Il s’agit d’une grande victoire pour la liberté de la presse », a déclaré la rapporteure Sabine Verheyen (PPE, DE) après la conclusion de l’accord. « Nous avons réussi à obtenir toutes les demandes les plus importantes du Parlement : les rédacteurs en chef seront plus indépendants dans leurs décisions, la propriété des médias sera plus transparente et la liberté de la presse ne sera pas restreinte par les grandes plateformes. Il s’agit d’une étape législative significative pour sauvegarder la diversité et la liberté de notre presse et protéger nos démocraties. »
« L’accord d’aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une reconnaissance. La reconnaissance des efforts considérables et du travail acharné que tous les journalistes accomplissent chaque jour, au péril de leur vie, pour préserver nos démocraties », a déclaré la rapporteure de la commission LIBE, Ramona Strugariu (Renew, RO). « C’est un grand pas en avant vers la protection de la liberté de la presse et la garantie d’un environnement sûr pour les journalistes et les travailleurs des médias. Ils le méritent. »
L’accord doit être formellement approuvé par la commission de la culture et de l’éducation (probablement courant janvier) et par le Parlement dans son ensemble (au cours de la plénière de mars, à confirmer), ainsi que par le Conseil.