Axer les objectifs de la présidence de l’Union africaine sur le respect de l’État de droit et la justice.
Le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, devrait saisir l’occasion de son accession à la tête de l’Union africaine (UA) pour donner la priorité aux droits humains et l’obligation de rendre des comptes devant la justice, sur tout le continent. Le président Tshisekedi a été élu à la présidence de l’UA pour l’année 2021 lors de la 34ème session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’organisation qui s’est tenue les 6 et 7 février 2021.
Tshisekedi accède à cette responsabilité alors que l’Afrique est confrontée à des défis sans précédent, du fait de la pandémie de Covid-19, de rébellions armées, de conflits intercommunautaires, d’exactions commises par des groupes armés non étatiques et par des forces de sécurité d’État et de violences liées à des élections. L’UA est également censée commencer en 2021 à mettre en œuvre l’Accord portant création d’une Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) (Africa Continental Free Trade Area Agreement), un projet phare de l’Agenda 2063 de l’UA, qui vise à augmenter de 52% d’ici à 2022 le commerce intra-africain et, ainsi, d’accélérer le développement économique de l’Afrique. L’Agenda 2063 est décrit comme le « cadre stratégique du continent qui vise à atteindre son objectif de développement inclusif et durable ».
« Tshisekedi devrait utiliser son poste pour réaffirmer l’existence du rapport étroit entre développement, démocratie et droits humains en Afrique », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice du plaidoyer pour l’Afrique à Human Rights Watch. « Il devrait amener l’Union à soutenir un programme de développement économique basé sur les droits en 2021. »
Alors que l’Afrique continue de faire face à la pandémie de Covid-19 et à ses effets, il est essentiel pour l’UA de donner la priorité à des stratégies basées sur les droits en encourageant tous les États membres à garantir à leurs citoyens le droit d’avoir accès à des soins médicaux de qualité et à un niveau de vie adéquat.
L’impunité pour les violations massives des droits humains commises dans le passé demeure un défi crucial sur le continent. La direction de l’UA devrait s’assurer que les mécanismes judiciaires africains actuellement en cours de mise en place commencent à fonctionner, comme le Tribunal hybride pour le Soudan du Sud, qui est en préparation depuis plus de cinq ans. Malgré la récente approbation par le Soudan du Sud de la création de ce tribunal en partenariat avec l’UA, l’option d’une mise en place unilatérale du tribunal par l’UA devrait demeurer ouverte. L’UA a suscité des espoirs avec la création sans précédent de sa Commission d’enquête sur le Soudan du Sud et ne devrait pas permettre que les intérêts des victimes soient bloqués du fait de l’intransigeance persistante du gouvernement.
L’équipe dirigeante de l’UA devrait également s’assurer que le Fonds fiduciaire au profit des victimes des crimes d’Hissène Habré commence à verser des indemnités à ces victimes. L’UA a joué un rôle essentiel dans le procès historique de Habré mais les victimes, qui ont fait campagne pendant 25 ans pour obtenir justice, attendent maintenant depuis plus de 4 ans que le Fonds commence enfin son travail.
En outre, l’UA devrait encourager les efforts nationaux en matière de justice et tout autre système visant à l’établissement des responsabilités pour les atrocités massives et les autres graves violations des droits humains commises dans le passé. Cela inclut le procès qui se fait attendre en Guinée des participants présumés au massacre, accompagné de viols et d’autres abus, survenu dans un stade en 2009, plus de trois ans après la fin d’une enquête nationale.
Ces initiatives et bien d’autres, comme la ratification rapide par les États membres de l’UA de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, et la création d’un régime de sanctions géré par l’Afrique peuvent contribuer de manière significative à instaurer une culture de paix, de droits humains et de démocratisation.
En 2020, le continent a tenu plus d’une douzaine d’élections générales, dont beaucoup ont été entachées de violence, de restrictions de l’espace civique, de meurtres, de répression de manifestations et d’allégations de fraude électorale. Les recherches effectuées par Human Rights Watch en RD Congo, au Cameroun, en Guinée, en République centrafricaine et en Côte d’Ivoire indiquent qu’une culture de l’impunité pour les abus commis dans le passé et les lacunes institutionnelles dans l’administration de la justice ont un impact direct sur les droits civils et politiques, comme le droit de vote et le droit à la participation politique.
En décembre 2020, le président de l’UA, le chef de l’État d’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa, a déclaré que l’initiative «Faire taire les armes» qui a servi de thème à l’UA pour 2019, a souligné l’importance de la protection des droits pour les femmes et les jeunes. Ces droits devraient demeurer une priorité dans l’agenda pour 2021, d’autant plus que l’UA a prolongé l’initiative Faire taire les fusils jusqu’à 2030.
Le président Tshisekedi assume ses fonctions à un moment où l’UA a été critiquée pour avoir manqué de volonté nécessaire pour fustiger ses membres lorsqu’ils violent leurs obligations nationales et internationales en matière de droits humains, et pour faire appliquer ses résolutions. Néanmoins, en tant que président de la Conférence de l’UA, qui est la plus haute instance politique et décisionnelle de l’Union, il peut améliorer le respect et la protection des droits humains dans la région, en conformité avec la Charte africaine.
« Les gouvernements africains peuvent faire davantage pour harmoniser leurs efforts de développement économique avec les aspirations de leurs peuples à la justice, aux libertés, à l’égalité et à la dignité », a affirmé Carine Kaneza-Nantulya. « L’Union africaine devrait adopter une position plus ferme en faveur des droits humains, y compris en axant l’application de son agenda 2063 sur les principes de l’État de droit et des libertés fondamentales. »