Vols en jet privé, fête à Versailles, versements douteux à l’ancienne Garde des Sceaux Rachida Dati… Renault et Nissan attendent toujours des justifications de Carlos Ghosn pour 11 millions d’euros de dépenses engagées par l’ancien patron de l’alliance automobile franco-japonaise.
Tour d’horizon des soupçons communiqués à la justice française et pour lesquels le dirigeant, réfugié au Liban après avoir fui le Japon, pourrait devoir s’expliquer.
L’audit de RNBV
A la demande de Renault et Nissan, le cabinet Mazars a mené un audit de leur filiale commune RNBV, basée au Pays-Bas et suspectée d’avoir abrité des paiements illégaux. Le 4 juin 2019, Renault avait révélé que M. Ghosn était soupçonné d’avoir dépensé 11 millions d’euros de l’alliance à son profit.
Se disant victime d’une « campagne de diffamation », l’ancien dirigeant a tiré à boulets rouges sur cet audit lors de sa conférence de presse à Beyrouth le 8 janvier. « Personne n’est venu me voir. Pour que cet audit soit valide, on doit parler au principal intéressé et lui poser des questions. Je ne suis pas inquiet parce que j’ai une explication », avait-il notamment affirmé.
Pourtant, les auditeurs avaient cherché à rencontrer Carlos Ghosn dès avril/mai 2019, selon une source proche du dossier. Et ils ont réussi à lui parler fin juin, sans qu’il ait pu lever les doutes, avant la finalisation du rapport en juillet.
« Réunion de famille » à Versailles
La fête des 15 ans de l’alliance Renault-Nissan célébrée le 9 mars 2014, jour des 60 ans de Carlos Ghosn, a coûté plus de 530.000 euros pris en charge par RNBV. D’après l’audit de Mazars, 94 des 154 invités à ce banquet supervisé par le chef Alain Ducasse étaient des proches de l’homme d’affaires (enfants, sœurs, cousins, amis…), essentiellement d’origine libanaise. Seules 24 personnes ont pu être identifiées comme partenaires des entreprises et quasiment aucun membre de Renault ou Nissan n’était invité, ni même au courant de la cérémonie.
Cette soirée était « pour nos partenaires, notamment étrangers », a expliqué M. Ghosn. Cependant, la fête a été qualifiée sur Instagram de « réunion de famille » par l’une de ses filles.
Renault a transmis en juillet 2019 les conclusions de l’audit au parquet de Nanterre qui enquête pour « abus de biens sociaux et abus de confiance », selon une source judiciaire.
Vols privés en jet
Carlos Ghosn est soupçonné d’avoir utilisé des jets mis à disposition par Nissan pour des motifs personnels. Au total, 38 voyages représentant 120 trajets et 276 heures de vol ont été épinglés entre l’été 2016 et fin 2018. Leur coût pour RNBV est estimé à plus de 5 millions de dollars, soit près de la moitié des « dépenses suspectes » inventoriées. Sur certains vols, l’appareil transportait uniquement des membres de la famille Ghosn, sans le dirigeant, a appris l’AFP de source proche du dossier. Les nombreux trajets Paris-Beyrouth, ou des trajets du type Ibiza-Beyrouth-Palma, suscitent le doute.
900.000 euros pour Rachida Dati
Des juges financiers parisiens enquêtent sur 900.000 euros d’honoraires versés par RNBV à l’ancienne Garde des Sceaux Rachida Dati entre 2010 et 2012. La candidate LR pour les municipales à Paris est citée dans le rapport Mazars, comme l’avait révélé l’AFP en juin 2019. Aucune trace n’a été trouvée des conseils que Mme Dati, en tant qu’avocate, affirme avoir apportés à Renault-Nissan, ni des réunions qu’elle aurait eues avec M. Ghosn.
Montre Cartier, hôtels de luxe
Parmi d’autres dépenses de RNBV, une montre Cartier à 24.000 euros réglée avec une carte de crédit au nom de Ghosn, mais aucune facture ni justification retrouvée.
Egalement, 1,7 million d’euros dépensés au festival de Cannes de 2014 à 2018, dont 350.000 euros pour 13 chambres réservées dans le luxueux hôtel du Cap Eden Roc à Antibes en 2018. La moitié des invités seraient des proches de M. Ghosn, selon des chiffres issus du rapport Mazars.
Plus de 800.000 dollars dépensés au carnaval de Rio. « Une part importante des invités étaient déjà le 9 mars à Versailles et/ou à Cannes et/ou à d’autres événements organisés par Carlos Ghosn sans lien évident avec l’objet de la société RNBV », ont constaté les experts du cabinet.
Absence de contrôle
« On fait comme si Renault, Nissan et RNBV étaient une petite entreprise familiale. Comme s’il n’y avait ni contrôleur, ni service financier, ni auditeurs… Toutes les factures étaient vérifiées en interne et en externe. Toutes les justifications ont été apportées (…) selon un protocole extrêmement rigoureux », avait déclaré M. Ghosn à Beyrouth.
Les comptes de RNBV n’étaient pourtant consolidés ni chez Renault, ni chez Nissan, leur permettant d’échapper aux contrôles des deux groupes.
OLJ