L’institution de Francfort ajoute 600 milliards d’euros au programme de 750 milliards d’achat de dettes annoncé en mars. Son plan, qui devait se terminer fin 2020, est prolongé jusqu’à la mi-2021.
S’il fallait une preuve que la crise économique et financière provoquée par le confinement sera longue et sévère, la Banque centrale européenne (BCE) l’a apportée, jeudi 4 juin. Elle a de nouveau sorti le bazooka monétaire, annonçant un plan d’achat de dettes de 600 milliards d’euros supplémentaires.
Cela vient s’ajouter aux 750 milliards d’euros déjà annoncés mi-mars, avec le plan pandémie (PEPP), en plus des quelque 300 milliards annoncés précédemment (plan dit PSPP). Au total, plus de 1 600 milliards d’euros sont sur la table. Ces sommes dépassent de très loin tout ce qui avait été fait au moment de la crise de la zone euro. Jamais l’institution de Francfort n’avait autant fait tourner la planche à billets.
Non seulement les montants sont historiques, mais la Banque centrale de la zone euro a aussi allongé la durée de son intervention. Le PEPP est prolongé jusqu’à fin juin 2021, alors qu’il devait initialement arriver à échéance fin 2020. De plus, la BCE annonce qu’elle entend conserver les dettes qu’elle achète sur les marchés « au moins jusqu’à fin 2022 ».
En clair, la politique monétaire de la zone euro restera extrêmement souple au moins jusqu’à cette date. Avec la pandémie, la zone euro et les Etats-Unis se sont enfoncés un peu plus dans une nouvelle ère de taux d’intérêt à zéro ou négatifs (le taux de dépôt la BCE est de – 0,5 %), et d’intervention massive des banques centrales sur les marchés financiers.
Ces milliers de milliards d’euros ne sont pas des sommes abstraites, coupées de la réalité. C’est grâce à cette intervention que les Etats peuvent se financer à bas prix, et donc grâce à cela que le chômage partiel, les nombreuses aides sociales et les plans de relance peuvent être payés.
Le taux d’emprunt de l’Etat italien s’est détendu
Après l’annonce de la BCE, jeudi, le taux d’emprunt de l’Etat italien s’est d’ailleurs immédiatement détendu, passant de 1,6 % à 1,4 %, ce qui était l’effet recherché. Pareil pour la France, avec des taux qui sont passés en territoire négatif pour l’emprunt à dix ans, à – 0,03 %.
Arrivant avec un masque sur le visage, pour une conférence de presse donnée en visioconférence, Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a opté pour un ton très sombre, parlant d’une « contraction sans précédent » de l’économie. « Des pertes sévères d’emplois et de revenus et un niveau exceptionnel d’incertitude sur la conjoncture économique ont provoqué une chute significative des dépenses des consommateurs et des investissements [des entreprises]. »
Elle anticipe une baisse du produit intérieur brut de la zone euro de 8,7 % en 2020, suivie d’un rebond de 5,2 % en 2021, mais reconnaît que le principal risque est que la situation s’aggrave. Elle admet aussi que la zone euro frôle la déflation. Elle prévoit seulement 0,3 % de hausse des prix à la consommation en 2020, et 1,3 % d’ici à 2022. C’est la plus faible prévision d’inflation à long terme de l’histoire de la BCE.
Pour tenter de relancer la croissance – et pour soutenir l’inflation, qui est son mandat officiel –, la BCE multiplie donc les interventions. Le PEPP lui permet de racheter, indirectement, quelques jours après leur mise sur le marché, les obligations émises par les gouvernements. Concrètement, il s’agit de « monétisation » de la dette : c’est la monnaie, créée par la BCE, qui finance les Etats, et non pas les investisseurs privés.
Par ailleurs, l’institution intervient aussi auprès des entreprises, en achetant des obligations et des prêts de trésorerie (« commercial papers »). Cela permet aux entreprises de se financer à bas coûts.
Reste que le PEPP, lancé en mars avec 750 milliards d’euros, s’avérait déjà incomplet. La BCE en a déjà dépensé 235 milliards d’euros et, à ce rythme, le plan aurait été épuisé en octobre. Il fallait donc l’augmenter. Mais même la hausse annoncée jeudi risque de ne pas suffire. Si la BCE continue à la même vitesse, les 1 350 milliards seront épuisés en février 2021. D’ici là, soit l’économie aura rebondi et la Banque centrale pourra lever le pied. Soit, et c’est plus probable, une nouvelle rallonge sera nécessaire pendant l’hiver.
Source : Le Monde